T’aimer

Je ne peux pas t’aimer plus qu’à cet instant.

Tes cheveux virevoltent au-dessus de ta tête.
Tes joues sont rouges, à cause du vent glacé.
Tu es emmitouflée dans ta grosse veste de bûcheron verte. Celle que tu aimes tant.
Pourtant, elle est trop grande, trop large. Mais elle protège tes mains du vent.
Toujours ce vent.

Ce vent qui souffle fort depuis maintenant des jours et des jours.
Ce vent qui rend fou.
Nous l’entendons la nuit, à travers nos fenêtres mal isolées.
Il fait bouger les branches des arbres. Certaines touchent le toit de notre maison. Une sorte de grattement vaguement inquiétant. Comme si quelqu’un grattait le bois de nos volets, nuit et jour.
Notre maison.
Ces deux mots, ensembles, provoquent chez moi un sourire immense.

Pourtant, elle n’est pas grande. Certains diraient même qu’il s’agit d’une cabane en pierre.
Elle est perchée, là, en haut des collines.
Elle résiste à ce maudit vent depuis 1856. Du moins, c’est ce que dit la grosse pierre sombre au-dessus de notre porte.
Avant nous, elle est restée 20 ans inhabitée. Les anciens propriétaires venaient, de temps en temps, pour les vacances.
Une parenthèse loin de leur vie parisienne trépidante.
Loin des théâtres, clubs, bars et restaurants.

Mais plus de 300 jours par an, elle était vide, notre maison.
La cheminée ne réchauffait personne, le grand lit dans la petite chambre restait vide.
Personne n’utilisait la belle baignoire. Personne ne prenait le temps de cuisiner et la maison sentait la poussière et le vieux.
Je ne saurais dire, précisément, ce qu’est l’odeur du « vieux » … Mais notre maison en avait l’odeur.

Et le vent pouvait s’engouffrer comme il le souhaitait sous la lourde porte en bois.
Maintenant, elle vit, notre maison. Elle revit.
Nous avons acheté cette maison un peu trop seule, pour y vivre. Nous, tous les deux.
Rien que nous.

La cheminée tourne toute la journée et toute la nuit. Je m’en assure : je me lève à 1h, 3h et 6h pour mettre un gros morceau de bois. Du châtaignier, qui pète.
Les petites explosions te faisaient peur au début. Maintenant, tu n’y fais plus attention.
Dans la baignoire, tu te prélasses, chaque soir, avec un verre de vin rouge. Un verre de vin rouge trop acide à mon goût. Mais toi, tu l’aimes. Alors je l’aime aussi, un peu.

Nous utilisons le gros four ancien, pour faire des tonnes de gâteaux et de tartes. Nous aimons beaucoup les tartes. Nous aimons les soupes aussi.
Tu as mis une petite casserole à côté du feu dans la cheminée. Dans cette casserole, des pelures de clémentines, d’oranges, des clous de girofle et de la cannelle. Le tout dans un peu d’eau.
Ainsi, l’odeur de ce mélange embaume la maison.
Notre maison, qui sent si bon.

Tous les soirs, nous faisons l’amour tendrement, dans le lit resté si longtemps vide.
Ta peau si douce rencontre la mienne, moins douce.
Tes lèvres rencontrent les miennes.
Et cela me comble de bonheur.
Pour que le vent ne nous glace pas, nous avons tenté d’isoler le contour de nos vieilles fenêtres avec des tissus et des boudins de portes aux motifs bariolés.
Si un jour on m’avait dit que j’utiliserais des boudins de porte, comme Mamie Luce, j’aurais ri.

Je te regarde et tu regardes ce clocher au loin.
Le soleil brille dans tes yeux. Tu as l’air apaisée.
Après tout ce que tu as subi, je ne pensais pas qu’un jour je verrais autant de sérénité dans ton regard sombre.
Tu te tournes vers moi, enfin.
Tu me souris, ton visage illumine. Il irradie.
Mon soleil à moi, c’est toi.

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