Bouriane

J’étais arrivée ici complètement par hasard.
Une offre d’emploi aperçue à la boulangerie. J’avais pris le numéro de téléphone, au cas où.

Il est vrai qu’à cette époque, je ne savais plus quoi faire de moi, de ma vie.
Je trainais ma carcasse dans les rues de la ville où j’avais grandi, à la recherche de quelque chose.
Quelque chose… Mais quoi ?

J’avais tout quitté, un jour sur un coup de tête.
Je m’étais réveillée un matin et j’en avais eu assez. Assez de tout.

Assez de ce travail inintéressant au possible, derrière mon ordinateur des heures et des heures. À la recherche d’un but, d’un sens, qui n’arrivait jamais.
Je venais de me faire quitter par un homme. Un homme stupide, qui plus est. Tout ce que je détestais chez les hommes. Ce qui m’agaçait le plus dans cette rupture, c’est que c’est lui qui était parti le premier. En me reprochant mille et une choses, bien sûr, alors qu’il était l’être le plus insipide que je n’avais jamais rencontré. Mais c’était lui qui était parti, sorte de petite victoire.
Mes parents n’étaient déjà plus de ce monde depuis des années et j’étais fille unique.
Mes amis avaient déjà quitté la région pour d’autres horizons : des voyages, des grandes villes, des boulots, …

En bref, j’étais seule.

Mais je continuais de m’acheter du pain, à la boulangerie en bas de chez moi.
Je ne le mangeais même pas en entier… Mais c’était l’occasion de sortir et surtout de lire les petites annonces.
J’adorais les petites annonces : je passais mon temps à les lire, à les photographier. Je passais des heures à m’imaginer la vie des gens les rédigeant.
Était-ce un couple de retraité ? Un homme célibataire amoureux de sa voiture ? Un jeune couple de bobos, qui passait leurs dimanches à la brocante ? Une belle jeune femme mystérieuse ?
C’était mon petit plaisir : imaginer la vie des gens.
Probablement pour oublier le manque d’intérêt de la mienne, de vie.

J’étais tombée sur une offre d’emploi, donc : « CHERCHE JEUNE POUR S’OCCUPER DE MES ANIMAUX. LOGEMENT FOURNI », avec le numéro en bas.
J’avais appelé, sur un coup de tête. Au bout du fil, un vieil homme à l’accent marqué. Sa femme était morte et il n’avait pas d’enfants. Il vivait seul dans sa ferme, entouré de chevaux, de moutons et de vaches, mais il n’arrivait plus à s’en occuper seul. Il cherchait de préférence un jeune homme fort, pour du vrai travail d’homme fort. J’étais une femme, pas spécialement forte, pourtant j’avais pris ma voiture pour rouler 3h et trouver le vieux à sa ferme.
J’étais arrivée avec ma robe à fleurs et mes grosses chaussures et j’avais affirmé que c’était moi qu’il cherchait, que je travaillerais ici : « Montrez-moi la maison, je reste ! ».

Je ne comprends toujours pas pourquoi ni comment, mais il a accepté.

Alors je vis ici, maintenant. Depuis 15 mois, précisément. J’habite une petite maison en pierre, dans un champ. Je coupe du bois pour allumer ma cheminée, parce qu’il fait froid l’hiver.
Je me lève à 6h du matin, du lundi au dimanche. Moi qui avais horreur des réveils matinaux dans mon ancienne vie, je me lève tôt et je cours nourrir les bêtes. Toutes, sans exception. Il y a au total : cinq vaches, trois ânes, dix moutons, cinq chevaux, vingt poules, deux coqs, deux chiens et une quantité incroyable de chats… Sans compter les mulots, souris et rats.

Après mon travail matinal, je vais manger chez le vieux. On partage un potage et des pommes de terre, parfois, il me fait de la mique.
Le repas terminé, je cours dans le champ pour récupérer mon amoureux… Un petit cheval trapu et têtu.

Lui et moi, nous partons ensemble sur les chemins et petites routes de Bouriane. C’est comme ça que s’appelle le coin. J’aime bien ce nom, sans vraiment le comprendre.
Je pars et je découvre ce paysage que je ne connaissais pas.
Là-bas, j’aime tout. Absolument tout. Du lever de soleil flamboyant aux forêts de châtaigniers en passant par les petites cazelles et les beaux moulins.
J’entends les cloches des églises du coin, dans les vallées. J’écoute le bruit des bois : l’aboiement du chevreuil, le cri du renard, le chant des oiseaux… J’ai parfois la chance de croiser des animaux sauvages et je souris rien qu’à cette idée.  
J’écoute le vent dans les feuilles de chênes et je galope dans les chemins de terre, jusqu’à épuisement.

J’ai tout quitté pour enfin me rencontrer.  

2 réflexions sur « Bouriane »

  1. Bonjour Hoop des bois , je me lasse pas de te lire et je t’imagine toujours dans ces décors magnifiques du lot .
    Au prochain RDV 😉.
    Belle journée et merci des partages

    1. Merci Beaucoup ! Je suis ravie que ça te plaise. Très belle journée 🙂

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